AFPC : consommons du CBD français !

Tristan Cloarec, président de l’Association Française des Producteurs de Cannabinoïdes (AFPC), alerte sur les défis et les enjeux de la filière CBD en France. Entre les obstacles réglementaires, la concurrence internationale et la quête d’une production locale bio et contrôlée, il défend un marché responsable et durable. Son ambition ? Structurer la filière et sensibiliser le public aux impacts de l’importation, tout en mettant en avant les bénéfices du chanvre français pour le bien-être des consommateurs.

AFPC : consommons du CBD français !

En ce mois d’octobre au Parc des expositions de Paris, le LOSANGEXPO est plein et les distributeurs de CBD sont venus en nombre présenter leurs produits. Mais à l’heure où la vape consomme des produits français, qu’en est-il des consommateurs de CBD en France ? Pour trouver la réponse, je rencontre Tristan Cloarec, il a fondé l’AFPC et il porte un combat. Entretien.

Salut Tristan, peux-tu te présenter ?
Je suis entrepreneur dans la région centre Bretagne dans le milieu du CBD depuis 2016. Avec mes collègues, nous avions un laboratoire de transformation et pour structurer le tout on a monté un projet agricole complet en 2020 autour d’une ferme, 5000 m² de serres, 2 hectares en extérieur et du coup on y articule notre propre production. Plus la transformation et le façonnage des produits. A l’origine je vendais du matériel de culture agricole.

Quel a été le déclic pour créer l’Association Française des producteurs de cannabinoïdes ?
En 2020, quand je suis rentré dans le programme agricole, je me suis rendu compte qu’il y avait des lacunes dans la culture cannabinoïde. En achetant la ferme et en me spécialisant dans le domaine agricole, j’ai rejoint l’AFPC qui comptait 6 membres et nous avons remanié. Avec d’autres agriculteurs, nous voulions défendre nos droits face aux risques et à l’inculture systématique que nous subissions dans le secteur des cannabinoïdes. Nous avons travaillé avec des avocats spécialisés pour créer cette association.

Quel est son rôle ?
Elle regroupe à l’heure actuelle 350 adhérents. Son but est la professionnalisation de la filière, l’encadrement de la culture, du marché. C’est un syndicat qui vise à apporter de la formation à un agriculteur qui veut se lancer dans le chanvre. Il en existe trois catégories : le chanvre fibre, le chanvre graines et le chanvre fleurs. Ce dernier étant le plus particulier. On informe sur le cadre légal, sur la façon d’obtenir les meilleurs rendements, d’optimiser ses cultures. L’important étant de bien dimensionner et comprendre les infrastructures pour les adapter à la production voulue.

Pourquoi dis-tu que la fleur est la partie du chanvre la plus particulière à cultiver ?

Car c’est la plus difficile à cultiver. La fleur est sujette à des pourrissements, à des modifications. Il faut donc faire attention à avoir des fleurs excellentes à la récolte, qui ne dépassent pas certains taux sinon elle devient invendable (illégale). On pousse l’Etat et les services concernés à nous aider à encadrer cette culture en autorisant des taux plus élevés parce que les maintenir dans ces conditions est quasiment impossible. Par exemple, dans les DOMTOM, les conditions climatiques jouent énormément : températures élevées, manque d’eau, stress environnemental. Tous ces facteurs engendrent des taux de THC supérieurs aux normes imposées. La plante se protège ainsi en produisant une couverture résineuse riche en THC pour survivre.

Comment décririez-vous l’évolution du marché du CBD en France ces dernières années ?

En explosion. Mais ce n’est pas évident de parler en chiffres. Je remarque une progression importante. En créant cette association on constate des tendances. L’aide que l’on propose aux chanvriers nous apporte des retours sur un marché qui ne cesse de croître. C’est une forme de reconnaissance. Le problème actuel reste l’importation. Nous sommes étouffés par l’importation européenne et extra européenne sur le sol français. Pour répondre à ta question, si nous sommes autant impactés par ce phénomène, c’est parce que le marché se porte bien, c’est une évidence.

Comment se fait-il que 90% du CBD consommés en France soient importés ?

C’est un problème d’éducation. Aujourd’hui, l’enjeu majeur est que le consommateur français ne consomme pas de chanvre français, et encore moins bio ou organique. C’est extrêmement problématique car tous ces produits importés sont nourris au PGR* (Les régulateurs de croissance) avec des hormones de floraison, avec des engrais particuliers. Nous sommes loin des méthodes naturelles.

Ces produits viennent de Suisse, d’Italie ?

Oui, mais pas seulement. Maintenant beaucoup de pays hors Europe produisent et font rentrer la matière par un pays européen. On se retrouve avec des coûts de production de matières étrangères sur nos sols qui sont fracassés. Quand on consomme un produit pour la santé, le bien-être, pour se sevrer ou diminuer la consommation d’autres produits plus dangereux, la moindre des choses est qu’il soit naturel. Quand je vois ce que les gens consomment sur les huiles et les fleurs, je m’inquiète pour eux.

On retrouve quoi dans ces fleurs ?

Des PGR, des hormones de croissance. Si tu prends une fleur dite classique et que tu la fais pousser en intérieur, en serre ou en plein champ, cette fleur aura un rende- ment maximal dû à l’engraissement du sol et ce que tu lui as injecté en pulvérisation foliaire. En France, nous sommes régis par le bio donc des engrais organiques ou un sol préparé en amont respectant les normes et derrière ta plante travaille toute seule. Si demain je viens manipuler tout ça avec des hormones de floraison je pourrais multiplier par 4 ou 5 le poids de ma fleur. Ces produits chimiques augmentent la densité et le rendement est décuplé.

Il y a quelques années, il n’y a pas eu une polémique sur le PGR ?

Tu voyais des fleurs gonflées comme du pop-corn. (NDLR : on reconnaît l’utilisation du PGR car les fleurs ont des têtes denses, des arômes réduits et une coloration sombre). Certains gros cultivateurs de fleurs en tout genre (hors CBD), notamment en Hollande, veulent du ratio, du volume et donc du rendement, c’est tout.

C’est aussi à ce niveau que l’AFPC intervient ?

L’Association Française des producteurs de cannabinoïdes intervient pour dire aux organismes qui nous encadrent, comme la filière agricole, qu’un produit consommé par les Français est trop importé, qu’on perd en qualité, en temps, en développe- ment durable et en rentabilité. Il y a une réelle nécessité à encadrer cette filière naissante en qualité et avoir une certification bio, pour que nos produits soient re- connus comme tels. Tout cela permettrait de dire aux consommateurs qui veulent acheter bio ou palier à une addiction qu’il n’y aucun risque.

Quels sont les principaux défis auxquels les producteurs de cannabinoïdes font face en termes de réglementation en France et en Europe ?

Ce fameux 0.3% de THC. Il faut absolu- ment que cela évolue. Surtout si d’autres pays européens peuvent être légalement au-dessus. Une uniformisation serait bienvenue pour rester compétitif. Comme évoqué précédemment dans les Caraïbes, Seychelles, Réunion, ce taux est intenable. Il y a aussi le novel food (NDLR : un aliment pour lequel la consommation humaine était négligeable dans l’Union européenne avant 1997, date à laquelle le premier règlement sur les novel foods est entré en vigueur. Les sources à partir desquelles les novel foods sont dérivés comprennent les plantes, les animaux, les micro-organismes, les cultures de cellules, les minéraux, etc.). Le CBD est un nouvel aliment et on n’a pas le droit de le commercialiser tant que la recherche scientifique et des études indépendantes ne sont pas réalisées pour prouver que la non toxicité de ce produit est avéré.

C’est légitime. Pourquoi il n’y a pas d’études sur ce sujet ?

L’EIHA* (L’Association européenne du chanvre industriel) nous a tous réuni et nous avons travaillé sur des études cliniques du CBD. Pour prouver qu’il n’a pas de dangerosité consommée a des dosages précis.

Et le défi des variétés ?

Si on veut obtenir une offre importante, des gammes riches et des propositions adaptées aux consommateurs, nous devons développer des variétés, c’est primordial. Face à la concurrence européenne il faut encore diversifier le catalogue variétal. Chaque type de chanvre, comme les vins, a un terroir propre influencé par le climat et le sol. Ils vont peser sur les récoltes. Et le dernier défi se joue aussi au niveau de l’alimentaire animal.

Pourquoi donner de la confiture aux cochons quand on peut leur donner du CBD ?

Sans rire. Il y a un marché à prendre car des études canadiennes sur le cannibalisme des cochons ont montré des résultats intéressants. Donner du CBD aux animaux les détendait. Mettre du CBD dans leur nourriture améliorait leur qualité de vie. C’est très intéressant. Ça s’appelle le pet food et c’est aussi un enjeu économique car d’autres pays peuvent s’introduire en France avec des produits normés alimentaires animal et de notre côté il est impossible de se positionner. En fait c’est simple : nous devons pouvoir répondre aux besoins des agriculteurs français sans passer par des systèmes extra territoriaux coûteux, illégaux.

 

Ils sont encore frileux sur la vape, tu penses que le CBD peut évoluer dans les années à venir ?

Ils commencent à taxer la vape. C’est un début. Mais je pense que cela montre une tendance à étendre la fiscalité dès que possible. Vape et CBD même combat. Aujourd’hui, les gens qui vapent ne fument pas 36 paquets de clopes. Dans les produits on retrouve du Propylène Glycol, de la glycérine et des arômes et parfois de la nicotine. Dans une clope, on retrouve 400 agents nocifs, toxiques et cancérigènes. Dans les faits, qu’est ce qui est mieux pour ta santé ?

On parle d’addiction…

Comme le cannabis. Ceux qui en fument, ne consomment pas de la ganja cultivée chez eux. Ils achètent des produits coupés et recoupés avec des agents toxiques, surtout dans les résines. Chez nous, quand on vend du CBD, on vend un palliatif. La comparaison est légitime et l’enjeu est là : comme pour la vape, si tu veux freiner la vente illégale, un marché noir illicite et proposer un produit respectant des normes, il faut un encadrement et une prise de position politique. Comme en Allemagne par exemple.

Tu arrives à tenir ce discours à des politiques ? Sont-ils attentifs ?

Pour le chanvre à principe actif (CBD) on commence à solliciter de plus en plus de gens car la génération de mes parents (1960/1970) en consomme sous forme d’huile et autres gélules, ce qui implique un intérêt. L’image du jeune de 20 ans caché avec son pétard est un peu caricaturale et dépassée. Dorénavant, c’est Monsieur et Madame tout le monde, axés sur le bien-être avec un usage raisonné. Donc les politiques s’y intéressent, même de loin. Le stress touche le monde. Personnellement, dans ma commune je suis adjoint à l’urbanisme et les gens savent ce que je fais. On me questionne, on se renseigne, on me demande conseil.

Existe-t-il des certifications ou des labels de qualité recherchés par les producteurs pour rassurer les consommateurs ?

Non ! C’est précisément le problème et on aimerait mettre cela en place. Passer par un encadrement spécifique et une interprofession qui travaillerait dessus. Mais cela prend du temps. On ne désespère pas. Mais commençons par consommer français !

Par conséquent, comment les producteurs français se positionnent face à la concurrence internationale ?

On ne fait que des marchés locaux, c’est tout. Il faut avouer que la plupart des producteurs ont du mal à vendre aux shops. C’est difficile. On vend nos marques aux buralistes, sur internet et sur les marchés. Actuellement, ce sont les seuls leviers de développement. Si une taxation sur l’import existait, ce serait différent. Mais on rentre sur la législation liée à l’espace Schengen et c’est complexe. En attendant, avec l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir, l’Italie est en passe d’arrêter sa production. Nous allons voir si cela a un impact chez nous…

Tu voudrais augmenter le taux de THC à combien pour rendre les productions de CBD et les agricultures plus viables ?

Il faudrait passer de 0.3% de THC à 0.7 % / 0.8%. Cela permettrait d’avoir une homogénéité en augmentant les taux de CBD de façon cohérente en plein champ ! La production indoor c’est différent, il suffit de passer la plante dans un polinator pour extraire du pollen. Mais en plein cagnard dans un champ, comme le vin du Sud avec ses raisins, les taux montent très vite. Dans ce cas, l’agriculteur a des coûts de main d’œuvre pour faire passer ses fleurs dans un tamis pour retrouver un équilibre et faire descendre les taux de THC.
*Les régulateurs de croissance (PGR) sont des intrants chimiques utilisés pour améliorer la taille des têtes et les rendements des plants. Ils agissent essentiellement en hackant les hormones de la plante afin d’accélérer les processus qui alimentent son développement et en supprimant ceux qui viennent le freiner. Cependant, ces molécules sont aussi connues pour endommager l’environnement et pourraient poser une menace à la santé humaine. Source : https://www.royalqueenseeds.fr/
**Les nouveaux aliments (novel foods) peuvent provenir de catégories spécifiques d’aliments (insectes, vitamines, minéraux, compléments alimentaires, etc.), d’aliments résultant de processus de production et de pratiques et technologies avancées (par exemple, une structure moléculaire nouvelle ou intentionnellement modifiée, des nanomatériaux), qui n’ont pas été produits ou utilisés avant 1997 et peuvent donc être considérés comme des novel foods.
*** EIHA : consortium de l’industrie de transformation du chanvre représentant les intérêts communs des agriculteurs et des producteurs de chanvre industriel, tant au niveau national qu’européen. EIHA est le seul consortium du secteur du chanvre industriel en Europe.