La vape sous pression fiscale

Alors que la vape s’impose comme un levier majeur de réduction des risques liés au tabac, une menace plane sur le secteur : l’instauration d’un droit d’accise sur les produits de vapotage. Derrière ce terme juridique un peu flou se cache une réalité lourde de conséquences pour les fabricants, les distributeurs… et les vapoteurs eux-mêmes.

La vape sous pression fiscale

Une taxe de plus ? Pas tout à fait. Maître Arnaud CONSTANT (avocat en matière de droit commercial et financier) explique que le droit d’accise, contrairement à la TVA, n’est pas une taxe sur la valeur ajoutée, mais une taxation sur le volume produit ou mis sur le marché. En clair, chaque millilitre de liquide pourrait être taxé à hauteur de 15 centimes, voire plus. Ce type de fiscalité existe déjà dans plusieurs pays européens comme la Belgique ou l’Allemagne. En France, le sujet est revenu sur le devant de la scène lors des débats sur la Loi de Finances, à travers une proposition de l’élu Charles de Courson. La vape sous pression fiscale ? On vous dit tout.

Au-delà du chiffre, c’est le principe même d’une telle taxation qui interroge : en France, les droits d’accises sont traditionnellement appliqués à des produits jugés nocifs pour la société — alcool, tabac, pétrole. Intégrer la vape dans cette liste envoie un message fort : celui que la cigarette électronique serait un produit « à risques », alors qu’elle est précisément conçue pour sortir les fumeurs du tabac.

L’enfer administratif en embuscade

Instaurer un droit d’accise, ce n’est pas seulement faire grimper les prix. C’est aussi ouvrir la porte à une nouvelle tutelle administrative : celle des douanes. Les fabricants devraient alors repenser leur logistique de fond en comble. Stockage des produits sous contrôle douanier, tenue d’une comptabilité matière dédiée, statut d’entrepositaire agréé… La liste des contraintes est vertigineuse.

Jean Moiroud, président de la FIVAPE et fondateur de The FUU, décrit l’absurdité de la situation : pour exporter en Allemagne, il a dû commander des timbres fiscaux à 35 000 euros l’enveloppe, juste pour quelques échantillons. Avec une production quotidienne de dizaines de milliers de flacons, l’impact sur la trésorerie devient colossal : chaque jour, des centaines de milliers d’euros pourraient être immobilisés rien que pour acheter les timbres fiscaux.

Une taxation sans justification sanitaire

Le cœur du problème reste cependant idéologique et sanitaire. Taxer la vape, c’est considérer qu’elle présente une externalité négative — autrement dit, qu’elle nuit à la société. Or, tous les travaux sérieux s’accordent à dire qu’elle constitue une alternative nettement moins nocive que la cigarette, dont elle aide des millions de personnes à se sevrer.

En France, où 30% des adultes fument encore, la vape représente un enjeu de santé publique majeur. Appliquer une fiscalité dissuasive reviendrait à freiner son accessibilité, au risque de renforcer le tabagisme, au lieu de l’endiguer. En Suède, où les taux de tabagisme sont tombés sous les 5%, une telle mesure pourrait être envisageable. Mais ici, elle serait contre-productive.

 

Qui dit Douane, ne sous-entend pas forcément « import/export »

Dès qu’un produit est soumis à accise, il devient un produit fiscalisé, donc potentiellement détournable. Les douanes sont donc en droit de surveiller même un transport intra-national, pour éviter le marché noir. Et ça, c’est un autre danger : chaque mesure restrictive sur la vape — taxes, interdictions d’arômes — crée une flambée parallèle du marché noir. « C’est une constante, une symétrie quasi parfaite » explique Jean Moiroud.

Des scénarios alternatifs à inventer

Face à cette pression, la FIVAPE, soutenue par des experts comme Maître Arnaud Constant, se mobilise pour construire des propositions alternatives politiquement acceptables. Il s’agit de raconter une autre histoire aux décideurs : celle d’un secteur responsable, innovant, porteur d’un impact positif pour la société. Mais pour cela, il faut se battre — et ne pas céder à la tentation du compromis fiscal.

Car non, il n’y a pas de “bonne” taxe sur la vape. Accepter un droit d’accise, c’est valider une logique de stigmatisation, renier l’essence même du combat mené depuis plus de dix ans par les acteurs du secteur. Et à l’heure où le marché noir se développe partout où la vape est bridée ou taxée, il est urgent de tirer les leçons des erreurs déjà commises ailleurs.

Jean Moiroud : « Avec ma double casquette d’industriel et de président de la FIVAPE, je préfère ne pas me projeter dans le cauchemar administratif que cela représenterait pour mon entreprise. Sinon, je risquerais de me démotiver, alors qu’il faut garder de l’énergie pour défendre la filière. »

Maître Arnaud Constant :
« Il va falloir être très combatifs. Déjà, 19 pays de l’UE, dont la Belgique et l’Allemagne, ont mis en place un droit d’accise sur la vape. Et 17 États membres, dont la France, ont officiellement demandé à la Commission européenne une harmonisation des droits d’accise. On est sur une pente glissante. »

La preuve par l’exemple.

Basée en Belgique jusqu’en 2024, LiquidLab s’est fait un nom dans le monde de la vape grâce à son expertise pointue en conception d’arômes « maison ». Bertrand Rose, aromaticien principal, explique que contrairement aux formules toutes prêtes importées par de nombreux concurrents, son laboratoire élabore ses molécules en interne, offrant une souplesse importante face aux évolutions réglementaires.

« Moi je ne fais que des arômes, je conçois directement les molécules », résume-t-il. « Telle molécule interdite, on peut s’adapter, là où d’autres (acteurs) sont bloqués. »

Cette agilité n’a pourtant pas suffi à compenser l’effet d’une taxe jugée « excessive » sur les matières premières. Imposée au même titre que les liquides finis, elle reposait sur un barème identique à celui appliqué aux e‑liquides, sans distinction entre arômes et produits destinés à la consommation alimentaire.

« Ils nous demandaient des sommes trop élevées », poursuit Bertrand Rose. « On a beaucoup de matières premières – ça fait des assises extrêmement élevées. Et la douane belge est sans concession : contrôles systématiques, réglementations draconiennes. »

Concrètement, cette fiscalité a eu un impact direct sur les coûts de production. LiquidLab a dû revoir ses étiquettes, désormais soumises à de nouvelles obligations : chaque molécule composant l’arôme doit être listée, y compris le dosage, en trois langues. Ce changement, annoncé « du jour au lendemain », a représenté un « chantier » administratif et logistique substantiel.

« Au début, on évoquait seulement des étiquettes spécifiques, puis trois mois plus tard, la taxe était là : j’ai dû tout revoir », raconte-t-il.

Le déménagement du laboratoire hors de Belgique s’est donc imposé comme une nécessité. Plus qu’un simple transfert de lignes de conditionnement, il a impliqué le déménagement d’équipements sensibles : GC‑MS, HPLC et autres installations de haute sécurité pour stocker des solvants inflammables.

« Ce n’est pas comme déplacer des machines d’embouteillage : un labo, c’est plus complexe. Il y a des pièces sécurisées, des contraintes sur chaque substance », détaille l’aromaticien.

Face à ces défis, LiquidLab a accéléré son projet de relocalisation : un tournant stratégique pour maintenir ses marges et préserver sa capacité d’innovation. L’histoire de Bertrand Rose illustre la double exigence du secteur : innover sans cesse tout en naviguant dans un maquis fiscal et réglementaire de plus en plus serré.

 

LiquidLab troque la frite pour le béret. (C’est un cliché mais on s’en fout.)

Après avoir quitté la Belgique en 2024, LiquidLab a rapidement jeté son dévolu sur la France, « notre marché principal », souligne Bertrand Rose. La proximité géographique et l’absence, à l’époque, de taxe équivalente en France ont rendu cette décision évidente. « On traversait la rue, on était en France », littéralement, rappelant que l’enseigne était déjà très connue de l’autre côté de la frontière.

Pour autant, le quotidien du laboratoire n’a pas radicalement changé : « Réglementations, contrôles… c’est pareil des deux côtés », explique l’aromaticien. Seule nuance : un peu moins de surveillance en France, même si « un labo reste un labo », avec ses contraintes de sécurité pour stocker solvants et équipements sensibles (GC‑MS, HPLC, etc.).

En revanche, la taxonomie belge a fortement pesé sur les volumes écoulés : les ventes sur place « ont chuté », laissant le champ libre au marché noir. LiquidLab a dû adapter ses conditionnements pour limiter la facture fiscale : les flacons de 100 ml sont passés à 80 ml, ceux de 75 ml à 40 ml, afin de réduire le montant des « assises » par millilitre. Conséquence : des stocks séparés France/Belgique, un nouveau système logistique et un chantier d’étiquetage encore plus complexe.

« La taxe, c’est plus un problème de volume que de taux : plus tu mets de liquide, plus tu payes », résume Bertrand Rose. À tel point que les pods (2 ml) deviennent des alliés des cigarettiers : leur faible contenance rend la taxe quasi indolore sur un pack à 5 €.

L’aromaticien détaille le casse‑tête douanier belge : « Nous avons dû ouvrir un dépôt fédéral pour coller nous‑mêmes les timbres fiscaux. Chaque flacon ne doit pas dépasser un carré délimité au sol : la douane peut venir compter les timbres, vérifier les commandes… Un dossier indigeste », confie‑t‑il.

Et si la France épousait le modèle belge ?

Interrogé sur l’éventualité d’une taxe similaire en France, Bertrand Rose ne mâche pas ses mots :

– Pour les shops, « ce serait la fin ». Sans trésorerie suffisante, ils ne pourraient plus avancer les « assises » aux fabricants, qui, en retour, exigeraient un paiement à la commande.

– Pour les marques, la complexité logistique et douanière se dupliquerait : stocks cloisonnés, dépôts fédéraux, étiquetage draconien… un coût humain et financier renforcé.

– Pour les consommateurs, « une augmentation du marché parallèle » et un retour possible au tabac, moins taxé et sans contraintes de conditionnement.

Cette expérience belge illustre la vulnérabilité du secteur face à des politiques fiscales rigides : alors que l’innovation aromatique et la réduction des risques sont au cœur du modèle de LiquidLab, la fiscalité peut rapidement en devenir l’obstacle majeur. Un avertissement précieux pour la France, où le débat sur l’imposition de la vape est déjà bien engagé.

Face au casse‑tête des « accises » fiscales

Au cœur de la polémique belge, les « accises » représentent le principal levier de taxation des e‑liquides et des arômes. Bertrand  explique le mécanisme : lorsqu’une entreprise souhaite obtenir des timbres fiscaux pour écouler ses produits, elle doit d’abord immobiliser une somme équivalente au montant des droits à payer.

« Par exemple, tu bloques 200 000 € ; dès que ces fonds sont engagés, tu peux commander pour 200 000 € de timbres », détaille Bertrand. « Mais la taxe devient réelle uniquement lorsque les timbres sont « mis en vente » : ils passent en régime suspensif, puis tu payes. »

Concrètement, une commande de 2 000 € d’arômes peut générer près de 9 000 € d’assises. Une fois le stock « timbré », la TVA s’ajoute au total :

  1. Montant HT du produit (ex. 5 € pour un flacon)
  2. Assise fiscale (ex. 12 € pour un flacon de 100 ml)
  3. TVA sur la somme cumulative

« Tu payes deux fois : d’abord l’immobilisation, puis la taxe. Si tu ne peux pas honorer, la douane prélève sur tes réserves », prévient l’aromaticien. »

Conséquences pour les shops et les marques

– Les boutiques indépendantes : sans trésorerie suffisante pour bloquer les fonds, elles se retrouvent exclues : impossible d’avancer les assises, pas de délai de paiement.

– Les fabricants : contraints de recourir à des prestataires agréés ou, pour les plus importants, de créer eux‑mêmes un dépôt fédéral. LiquidLab a opté pour cette seconde solution en Belgique, doublant ainsi ses charges administratives.

– Les cigarettiers (pods) : bénéficient d’un avantage indirect : leurs recharges de 2 ml entraînent une taxation marginale (quelques dizaines de centimes), indolore pour le consommateur.

« Un shop qui achète un flacon de 80 ml paie 12 € de taxe. Ajoute‑y la TVA : c’est rédhibitoire », résume t’il. En France, l’aromaticien n’envisage pas de timbres similaires : « Je vois plutôt un système calqué sur celui du tabac, avec un opérateur logistique comme Logista. Mais je ne sais pas s’ils seraient prêts à gérer les e‑liquides. » L’expérience belge de LiquidLab offre une mise en garde : si la France suit cette voie, le secteur de la vape, déjà fragile, risque une profonde mutation, où seuls les acteurs les mieux armés financièrement sauront perdurer.

 

Aucune concertation

Interrogé sur sa participation aux discussions préalables à la mise en place de la taxe belge, Bertrand Rose ne cache pas son amertume :

« Non, non, non, du tout. On n’a pas eu le moindre écho », insiste‑t‑il. « Ils ont organisé une réunion d’information, en mode question‑réponse, mais à toutes mes questions, je n’ai obtenu aucune réponse. »

Cette absence de dialogue nourrit un ressentiment profond chez l’aromaticien, qui voit dans la démarche belge un processus unilatéral, déconnecté des réalités du terrain.

Un avertissement aux autorités françaises

S’adressant aux futurs législateurs hexagonaux, il lance un avertissement sans détour :

– Un marché fragilisé : « Ça va tuer le marché », prévient‑il. Sans trésorerie pour assumer les assises, de nombreux shops et petits fabricants n’y survivront pas.

– Emplois menacés : « Plein d’emplois vont être perdus », enchaîne‑t‑il, alors que les boutiques indépendantes peinent déjà à soutenir des coûts de production majorés.

– Consommateurs pénalisés : l’augmentation brutale des prix « transformera le budget vape en bloc », rendant la pratique inabordable pour certains usagers.

Pour Bertrand Rose, la France a une solution de rechange : collaborer avec un opérateur logistique spécialisé, à l’instar de Logista pour le tabac, plutôt que d’imposer un système de timbres fiscaux indigeste.

Les puffs, bouc émissaire facile

Enfin, l’aromaticien dénonce le recours à l’argument des puffs pour justifier une taxation globale :

« L’État amalgame puffs jetables et vape traditionnelle pour “protéger les jeunes”. C’est une excuse facile, mais malhonnête. La vape est là pour aider les fumeurs, jeunes ou moins jeunes. »

Selon lui, le ciblage des arômes « frais » ou « fruités » sous prétexte de freiner l’accès des mineurs relève plus d’une posture politique que d’une réponse efficace :

– Listes de molécules interdites : « Ils publient une nouvelle liste tous les trois mois », pointe‑t‑il, rendant la formulation d’arômes quasiment impossible.

– Absence de nuance : « La vape, c’est pour aider à arrêter de fumer, même chez les jeunes », rappelle‑t‑il, en faveur d’une approche axée sur la réduction des risques plutôt que sur la répression.

L’expérience belge de LiquidLab constitue ainsi un cas d’école : sans concertation, des mesures fiscales peuvent rapidement déstabiliser un secteur déjà en quête de reconnaissance et pousser ses acteurs vers des choix stratégiques coûteux et contraignants.

Encadrer plutôt que taxer : la voie proposée 

Face au constat d’une fiscalité punitive en Belgique, Bertrand Rose insiste sur l’urgence d’une réglementation sur-mesure, fruit d’un réel dialogue entre pouvoirs publics et professionnels du secteur :

« Une taxe, ce n’est pas une alternative : c’est une forme d’interdiction », tranche-t‑il. « La vape n’est pas du tabac ; sa nocivité est différente. Pour grandir, le marché a besoin de règles claires, co-construites avec les fabricants. »

Construire un cadre réglementaire précis

  • Impliquer les experts : associer laboratoires, aromaticiens et boutiques indépendantes à la définition des normes (composition, étiquetage, sécurité).
  • Clarifier les définitions : distinguer formellement la vape du tabac pour éviter les confusions fiscales et sanitaires.
  • Adapter les contrôles : mettre en place des inspections ciblées et proportionnées, à l’instar de celles prévues pour l’alimentation ou la cosmétique.

« Si demain, l’État se concertait vraiment avec le secteur, on pourrait bâtir une réglementation nette, précise », assure Bertrand Rose. « Cela ferait évoluer et grandir le marché ; une taxe, au contraire, étouffe tout. »

Une taxe inévitable ?

Conscient que la manne fiscale est tentante pour les États, l’aromaticien admet que « la France finira probablement par imposer quelque chose ». Il cite l’exemple du Royaume-Uni, qui envisage lui aussi une taxation sur la vape.

« L’État a besoin d’argent ; tout le monde le sait. Mais sans cadre réglementaire solide, la taxe ne fera qu’asphyxier un secteur en pleine innovation », prévient-il.

 

🔍 Les conséquences concrètes sur les vape shops – En 6 points

  1. Trésorerie sous pression
    Les boutiques doivent avancer le montant des « assises » dès la commande (bloquer des fonds pour l’achat des timbres fiscaux), sans délai de paiement.
  2. Hausse des coûts unitaires
    Exemple : un flacon de 80 ml supporte environ 12 € de taxe, puis la TVA. Le prix de revient d’un seul produit peut plus que doubler.
  3. Gestion logistique alourdie
    Stocks séparés (France vs. Belgique), conditionnements spécifiques (contenances réduites pour limiter la taxe), étiquetage trilingue exigeant.
  4. Complexité douanière
    Obligation d’ouvrir ou de passer par un dépôt fédéral pour pouvoir coller les timbres ; contrôles permanents (comptage des timbres, vérification des réserves).
  5. Concurrence du marché parallèle
    Face à des tarifs prohibitifs, un recours accru aux circuits non régulés est à craindre, au détriment des boutiques légales.
  6. Risque de disparition des petites structures
    Sans trésorerie ni moyens logistiques, les shops indépendants peinent à absorber ces contraintes et pourraient mettre la clé sous la porte.

NDLR : la première partie de l’article est tirée d’une conférence sur la taxe réalisée au Vapexpo 2025. Merci aux différents intervenants et à Olivier Eynaud qui a dirigé cette rencontre.