Un ministère hors réalité ?

Voilà de quoi irriter Fédération Addiction : le ministère de la Santé vient de publier ses recommandations à l’égard du vapotage en s'appuyant sur l’avis « alambiqué » du HCSP.

Un ministère hors réalité ?

En novembre 2021, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), instance d’aide à la décision auprès des pouvoirs publics, avait affirmé que les cigarettes électroniques ne pouvaient pas être proposées aux fumeurs souhaitant arrêter le tabac et bénéficier d’une aide au sevrage, « les connaissances fondées sur les preuves [étant] insuffisantes ». Son communiqué constituait une actualisation d’un avis émis en 2016 concernant les systèmes électroniques de délivrance de nicotine et leur possible utilisation comme aide au sevrage. À l’époque, le HCSP avait considéré la cigarette électronique comme un outil de réduction des risques du tabagisme, mais il ne s’était pas prononcé sur son intérêt dans un processus de sevrage.

Le ministère de la Santé et de la Prévention a adopté la même ligne de conduite. Ses recommandations concernant l’usage des produits de vapotage publiées le 26 septembre dernier stipulent que « leurs effets sur la santé à long terme sont insuffisamment connus » et que « les données actuellement disponibles ne sont pas concluantes quant à [leur] efficacité en tant qu’outil pour arrêter de fumer, par rapport aux traitements validés disponibles ». Le texte ajoute que « des recherches supplémentaires sont nécessaires pour évaluer les risques et les avantages de ces produits ».

Fumeux arguments

Pour les fumeurs adultes souhaitant stopper leur consommation de tabac et bénéficier d’une aide, le ministère préconise toujours une prise en charge par un professionnel de santé, apte à assurer un suivi et à prescrire un traitement médicamenteux si cela s’avère nécessaire. Il conseille également de recourir aux traitements de substitution nicotinique (TSN) qui « ont fait la preuve de leur efficacité et de leur innocuité chez tous les publics à partir de 15 ans, y compris chez les femmes enceintes ».

La démission du professeur François Alla du HCSP au lendemain de la remise de son rapport sur la cigarette électronique et les explications qu’il avait données avaient déjà incité les pro-vape et les observateurs à s’interroger sur la valeur de cette étude. Aujourd’hui, les recommandations du ministère provoquent la même incompréhension que le communiqué du HCSP. Fédération Addiction, premier réseau d’addictologie de France, rejette en bloc les arguments avancés, à savoir :

– l’insuffisance de preuves scientifiques concernant l’efficacité de la cigarette électronique dans la lutte contre le tabac

– les risques présentés par l’éventuelle présence de nicotine, une substance addictive

– la hausse significative du nombre de vapoteurs chez les moins de 18 ans, séduits par les arômes et qui pourraient être attirés par une consommation ultérieure de tabac (l’effet passerelle). Pour le ministère de la Santé, empêcher l’enchaînement vapoter-fumer relève du principe de précaution.

La réalité du terrain

Dès janvier 2022, Fédération Addiction soutenait que les affirmations du HCSP étaient contredites par la réalité du terrain. Plus grave : elles risquaient de dissuader les professionnels de santé de proposer la vape comme aide au sevrage tabagique. « En s’appuyant uniquement sur des méta-analyses scientifiques, le HCSP ignore les contributions des personnes concernées et des professionnels. En effet, le vapotage est d’ores et déjà le choix de nombreux fumeurs qui souhaitent réduire et arrêter le tabac. L’urgence est de les accompagner, plutôt que d’imposer ce qu’on pense [être] le mieux pour eux. […] La prise en charge des fumeurs est plus efficace quand elle [prend] en compte [les] attentes des patients, qui sont diversifiées et évolutives – réduire, vapoter, substituer, arrêter, etc. »

Le principe d’inertie

De même, cette fédération qui regroupe 190 associations, 850 établissements et services de santé, de prévention, de soins, de réduction des risques et 500 médecins et pharmaciens de ville s’élève contre l’idée selon laquelle la cigarette électronique mène au tabac. Parce que le profil d’un jeune fumeur est difficile à établir (il est impossible d’expliquer de façon sûre ce qui l’a incité à fumer du tabac ; il y serait peut-être venu même sans passer par la vape). Et parce que la cigarette électronique fait concurrence au tabac, ce qui peut contribuer à son attrait auprès d’un public jeune.

« Ces études omettent que la vape est un concurrent du tabac et que cet effet de concurrence semble l’emporter sur l’effet ‘‘porte d’entrée’’, comme le montrerait le fait qu’aux États-Unis, le taux de fumeurs adolescents se soit effondré avec l’arrivée de la vape, écrivait Fédération Addiction début 2022 sur son site. Le principe de précaution ne doit pas être un principe d’inertie amenant à oublier et à taire que vapoter reste moins dangereux que fumer. Renvoyer dos à dos [fumeurs] et [vapoteurs] revient à ne tenir compte ni de l’effet de concurrence, ni de la dangerosité moindre de la vape. »

Science sans conscience…

L’institution située dans le XIe arrondissement de Paris souligne par ailleurs que la position du HCSP et du ministère de la Santé crée une certaine confusion : elles déconseillent la cigarette électronique aux professionnels de santé pour aider les fumeurs qui veulent décrocher mais considèrent qu’elle peut constituer une aide hors du système de santé ou en complément d’une prise en charge à l’intérieur de celui-ci. Le HCSP et le ministère ajoutent que les produits de vapotage peuvent être proposés par les professionnels de santé aux publics vulnérables si un premier traitement, de type TNS, a échoué…

Pour Fédération Addiction, le retard pris sur le terrain scientifique s’explique aisément. « Le niveau de preuves d’efficacité des cigarettes électroniques est, en l’état, plus faible que celui d’approches médicamenteuses et/ou substitutives ayant fait l’objet d’études spécifiques pour être autorisées. (…) En addictologie, c’est du terrain que viennent bien souvent les innovations les plus pertinentes, bien avant que les autorités académiques ne les reconnaissent et que les études randomisées ne les ‘‘prouvent’’. »

Une autre version du combat entre l’homme de science et l’homme de foi…

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