Le chanvre de mon Père : l’expertise en CBD

Depuis 25 ans, le père de Nicolas ROUMAT cultive le chanvre, se spécialisant dans la transformation des graines pour l'alimentation. Il y a quatre ans, son fils a rejoint l’exploitation familiale, créant ainsi la marque Le Chanvre de mon Père. L’objectif ? Poursuivre l’activité historique tout en élargissant le champ des possibilités. En plus de la transformation des graines, l’exploitation a intégré la culture et la transformation des fleurs de chanvre pour extractions. Rencontre.

Le chanvre de mon Père : l’expertise en CBD

En l’espace de quatre ans, la marque a su diversifier ses produits. Tout en continuant d’offrir une gamme alimentaire héritée du savoir-faire paternel, elle a su se lancer dans le marché du CBD avec des produits comme des infusions, des gélules et des fleurs de CBD. La transformation se fait sur place, dans un laboratoire dédié, permettant de maîtriser chaque étape de la production, de la culture à l’extraction.

Mais la transition vers le CBD n’a pas été le fruit du hasard. « Nous avons suivi de près l’évolution de ce marché depuis plusieurs années », explique Nicolas. Inspirés par les tendances venues d’Amérique du Nord, ils ont fait leurs premiers pas dans l’extraction il y a six ou sept ans, se distinguant comme l’un des premiers producteurs français à se lancer dans cette voie. Bien que le marché soit encore dominé par les importations, leur produit français, plus qualitatif et plus traçable, a su séduire les consommateurs.

Ce tournant vers le CBD a également marqué un changement radical dans la manière de cultiver. Tandis que le chanvre alimentaire est cultivé de manière industrielle, en grandes parcelles mécanisées, le chanvre destiné au CBD demande une approche plus fine, proche du maraîchage et de l’arboriculture, nécessitant un entretien minutieux et des cycles de culture spécifiques. Un défi que l’équipe a relevé avec succès, transformant leur savoir-faire traditionnel en une expertise adaptée aux besoins du marché du CBD. Rencontre.

Comment perçois-tu l’évolution du marché du CBD en France ?

J’ai le sentiment que le marché français du CBD n’est pas si grand que ça. Sa profondeur est limitée, et aujourd’hui, il repose principalement sur la vente de fleurs.

Le cœur du marché, ce sont des consommateurs de THC qui cherchent un substitut. Certains veulent réduire ou arrêter leur consommation de THC et se tournent vers le CBD pour un effet plus doux, sans les effets psychotropes.

En ce qui me concerne, je suis davantage axé sur le CBD en tant que complément alimentaire plutôt que sur la fleur. J’ai des clients fidèles qui l’utilisent pour soulager des douleurs ou améliorer leur sommeil, mais ce marché est bien plus restreint. La réglementation freine énormément l’arrivée de nouveaux consommateurs, ce qui limite la croissance du secteur.

Je pense que le marché français du CBD atteint vite un point de saturation. Il y aura toujours une demande, mais elle reste contrainte par le cadre légal et la perception du grand public.

 

 

En quoi la réglementation te pose problème ? Quel impact a-t-elle directement sur ton exploitation ?

Je pense qu’elle freine l’arrivée de nouveaux consommateurs et limite mon expansion. Un exemple concret : toute la réglementation autour des tests de THC, notamment lors des contrôles routiers. Une personne qui a des problèmes de sommeil et cherche une solution a plusieurs options : CBD, mélatonine, somnifères… Mais si on lui dit que le CBD peut lui faire perdre son permis, elle choisira autre chose, ce qui est logique. Pourtant, ce n’est pas avéré que les tests salivaires soient positifs après consommation de CBD. Mais c’est ce qui est véhiculé partout, et ça crée une sorte d’épée de Damoclès pour les nouveaux consommateurs.

Votre terroir a-t-il une influence sur la culture du chanvre ?

Oui, comme pour le vin, chaque terroir laisse son empreinte. Le chanvre, comme toute plante, subit des stress environnementaux tout au long de sa croissance, ce qui influence la composition des terpènes et d’autres molécules. Une même variété ne développera pas exactement les mêmes caractéristiques si elle est cultivée en Bretagne ou dans le Sud de la France.

Cela dit, la génétique reste déterminante, représentant environ 80 à 90 % du résultat final. Les 10 à 20 % restants dépendent du terroir, des conditions climatiques et des pratiques agricoles, notamment les amendements utilisés et l’entretien apporté à la plante.

Quand vous parlez de génétique, vos plantes restent-elles naturelles ?

Bien sûr ! Toutes nos plantes sont bio et naturelles. Lorsqu’on parle de génétique, il ne s’agit pas d’OGM, mais de sélection variétale, comme cela existe pour de nombreuses cultures.

Prenons l’exemple de la tomate : une tomate cerise et une tomate de conserve restent des tomates, mais elles ont des génétiques différentes. L’homme a sélectionné certaines caractéristiques – taille, goût, couleur – pour obtenir des variétés adaptées à des usages spécifiques. C’est exactement la même chose pour le chanvre.

Le chanvre industriel et le chanvre CBD n’ont pas la même génétique. Ce sont deux lignées distinctes, chacune adaptée à un usage particulier.

Dans le cannabis, on trouve parfois des fleurs de CBD légèrement violettes. Comment se fait cette sélection génétique ?

Dans la génétique du cannabis, il existe des phénotypes qui présentent naturellement cette couleur violette. Pour obtenir une lignée stable, on sélectionne ces plantes et on les fait se reproduire entre elles, jusqu’à fixer la caractéristique recherchée. C’est ainsi que les grands noms du cannabis ont créé des variétés célèbres comme White Widow ou AK-47. Cette approche est la même, que ce soit pour du CBD ou du chanvre industriel : on travaille sur des lignées génétiques spécifiques.

 

 

Mais toi, tu procèdes différemment ?

Oui, car en France, il est interdit de faire de la sélection variétale en tant que telle. Nous n’avons pas le droit de faire des boutures ni de cloner nos plants. Ce que je fais, c’est acheter des semences certifiées au catalogue européen et cultiver uniquement celles qui sont autorisées.

Quelles variétés de CBD cultives-tu ?

Cette année, on en avait une douzaine, parmi lesquelles l’Ennectiliania, la Norwest, l’Ennectarol (qui est du CBG), ou encore la Midwest. Ce sont des variétés certifiées, censées garantir un taux de THC inférieur à 0,3 %.

 Mais ce taux peut-il varier ?

Oui, il varie en fonction de plusieurs facteurs : le stress que subit la plante, l’ensoleillement, les conditions de culture… C’est comme un pommier dont les fruits peuvent être plus ou moins sucrés selon les années et les conditions climatiques.

Et si une plante dépasse la limite des 0,3 % de THC ?

On fait de l’extraction. Lorsqu’une plante a un taux de THC trop élevé, elle a généralement aussi un taux de CBD plus élevé. L’idée est donc d’extraire les cannabinoïdes et de les reformuler pour obtenir une concentration en THC conforme à la réglementation.

Comment fais-tu pour contrôler ces taux ?

On réalise des analyses régulières au cours de la culture. On sait qu’à un certain stade de floraison, on atteint un pic de CBD avant que le THC n’augmente trop. Il faut donc bien surveiller pour récolter au bon moment. Et si jamais le THC dépasse la limite, l’extraction permet de rectifier le tir en ajustant les concentrations.

 

 

Quels sont tes clients ? Ton réseau est constitué de professionnels ou de particuliers ?

45 % de mon chiffre d’affaires provient de magasins, environ 110 points de vente. Une grosse partie sont des magasins bio. J’ai quelques CBD shops, mais pas tant que ça, uniquement ceux qui recherchent du produit français et traçable. Beaucoup d’autres privilégient des produits à forte marge et à taux de CBD élevé, ce qui ne correspond pas à mon approche du spectre naturel. C’est pareil pour les vape shops, d’ailleurs : ils sont souvent polyvalents et vendent aussi du CBD. J’ai aussi une vingtaine de pharmacies qui distribuent mes infusions et compléments alimentaires, mais pas la partie alimentaire.

Et en BtoC ?

En BtoC, on vend principalement en ligne. On expédie plus d’une centaine de colis par mois. On participe aussi à des salons, souvent des salons bio, à Paris, Lyon, etc., où on va chercher directement les consommateurs. Mon cœur de cible est plutôt tourné vers l’artisanat et le naturel.

Enfin, on vend aussi directement sur l’exploitation, avec un volet agro-tourisme. On organise des visites des champs de chanvre en pleine floraison, avec des explications pédagogiques sur la plante et sa transformation. Les visiteurs peuvent toucher, sentir, comprendre la culture du chanvre et, à la fin, déguster les produits. C’est une approche plus immersive et familiale, qui permet de créer un vrai lien avec le client.

Est-ce que tu peux me citer trois best-sellers de tes ventes ?

Les miels au CBD, notamment les grogs, plaisent beaucoup. Ce sont des préparations à base de miel qu’on utilise en infusion. On a par exemple un booster immunité avec gingembre, citron, propolis et CBD, parfait pour les maux de gorge. Un autre est axé sur le sommeil, avec des huiles essentielles et du CBD. Le dosage en CBD est suffisant pour un effet équivalent à une prise sublinguale.

Ensuite, les gélules au CBD fonctionnent très bien. C’est une forme galénique plus accessible que l’huile en gouttes sous la langue, qui reste méconnue du grand public, sauf chez ceux qui s’intéressent à la phytothérapie. De plus, notre huile a un goût fort et brut, car elle est très peu transformée. Les gélules permettent d’éviter cet aspect et plaisent beaucoup.

Enfin, les infusions au CBD rencontrent toujours du succès. C’est un format simple, que tout le monde connaît et utilise, donc elles trouvent facilement leur public.

 

 

Et en fleurs, quelles sont les variétés que tu aimes bien ?

La Norwest est une de nos favorites. C’est une très belle fleur, vraiment. Cette année, on a aussi travaillé sur d’autres variétés incroyables, qui viennent d’un autre univers. Mais si je devais retenir une variété de l’année précédente, ce serait la Nord-Ouest, sans hésitation.

Est-ce que tu as des projets de développement ?

Oui, on aimerait développer une gamme cosmétique. C’est un challenge, car la réglementation est compliquée si on veut rester fidèle à nos valeurs et utiliser du spectre naturel plutôt que des isolats de CBD. C’est là notre plus gros défi : proposer des cosmétiques qui respectent à la fois notre philosophie et les contraintes réglementaires.

Comment fais-tu ton choix quand tu achètes des graines ?

Je n’achète que des graines. Nous ne prenons jamais de plantes ou de boutures, car cela n’est normalement pas légal. En tant que membre d’associations de producteurs, nous échangeons beaucoup d’informations et partageons nos expériences. Par exemple, nous demandons comment les graines ont réagi, leur taux de germination, etc. En effet, il y a souvent une grande différence entre ce qui est annoncé par le semencier et la réalité. Les graines coûtent très cher, donc il est crucial de s’assurer qu’elles produisent des résultats satisfaisants. Nous nous appuyons aussi sur les retours des fournisseurs, les cahiers d’échange et les rapports de culture. Ensuite, nous testons les graines, et en fonction des résultats, nous faisons de la sélection pour garder les meilleures variétés et les replanter chaque année.

 

 

Est-ce que tu penses que la filière française du chanvre ou du CBD a de l’avenir face à la concurrence internationale ?

Oui, je suis convaincu que la filière française a un bel avenir. Nous produisons déjà de très bons produits. Cependant, la réglementation actuelle ne nous aide pas vraiment. Il est évident que les consommateurs sont prêts à payer des prix raisonnables pour des produits de qualité, ce qui pourrait permettre de rémunérer correctement la filière française. Le véritable défi réside dans la distribution, où les producteurs français ne sont pas toujours favorisés. Lorsque je montre nos fleurs à certains shops, ils sont souvent étonnés par la qualité. Cela prouve que, même face à la concurrence internationale, les producteurs français peuvent se distinguer. Mais pour que cela fonctionne, il faut que tout le monde dans la chaîne de production et de distribution joue le jeu.

Quels sont les problèmes au niveau de la distribution ?

Le principal problème réside dans le fait que les distributeurs préfèrent souvent acheter des produits de moindre qualité, comme du « faux suisse » provenant d’Uruguay ou ailleurs, qui sont souvent pulvérisés avec des terpènes ou des cannabinoïdes de synthèse. Ces produits sont vendus à des prix très compétitifs, ce qui crée une distorsion de marché. Par exemple, à 200 euros le kilo, je ne couvre même pas mes coûts de production, qui sont plutôt autour de 250 euros. Si je vendais à ce prix-là, ce serait uniquement pour la gloire, et non pour faire fonctionner mon entreprise.

Le marché est-il déréglé selon toi ?

Oui, je pense que le marché est clairement déréglé. Dans d’autres secteurs, des marges de 8 à 10 fois ne sont pas la norme. Par exemple, dans l’alimentaire, les marges sont autour de 1,5 fois, c’est-à-dire qu’on gagne 50 % du prix d’achat. Dans les secteurs de la cosmétique ou des compléments alimentaires, les marges sont plutôt de 1,8 à 2 fois. Mais dans le secteur du CBD, des marges de 8 à 10 fois, c’est un véritable hold-up, c’est du vol. Et même si on imposait des marges plus raisonnables, je ne suis pas sûr que beaucoup de CBD shops survivraient à cela.