Lors du 1er Forum francophone sur la nicotine et la réduction des risques tabagiques organisé par Nicotine World, Olivier Véran et Philippe Couillard ont échangé sur le rôle de la nicotine, de la vape et des politiques de santé publique. La table ronde, animée par Capucine Graby, a mis en lumière les enjeux de la réduction des risques liés au tabac.
Une parole libérée sur la dépendance
Dès l’ouverture, Olivier Véran a donné le ton en livrant un témoignage personnel : celui d’un ancien fumeur ayant trouvé dans la vape un moyen efficace de sortir du tabac. Il raconte avoir fumé précocement, dès l’adolescence, puis pendant ses années d’internat et de début de carrière. Ce n’est qu’au moment de devenir père qu’il décide de changer. Il se tourne alors vers la cigarette électronique : « Je ne fume plus depuis dix ans, je fais du sport, je me sens en bonne santé. Je suis encore dépendant à la nicotine, mais je ne suis plus en danger. »
Ce récit, à la fois personnel et politique, a résonné avec l’approche défendue par Philippe Couillard, pour qui la réduction des risques doit occuper une place centrale dans les stratégies de santé publique. « La dépendance à la nicotine existe, c’est vrai. Mais ce n’est pas elle qui tue. Ce qui tue, c’est la combustion du tabac. Il faut faire passer ce message sans culpabiliser. »
Le poids des représentations : tabac, nicotine et confusion
Un constat partagé par les deux intervenants : la confusion entre tabac et nicotine demeure très répandue. L’ancien ministre français à la santé souligne qu’une grande partie de la population pense encore que c’est la nicotine qui cause les cancers et les maladies cardiovasculaires, alors que le danger principal réside dans la fumée de combustion et les produits toxiques qu’elle contient. Cette confusion, selon lui, freine l’adhésion aux outils de réduction des risques comme la cigarette électronique, les sachets de nicotine ou même les substituts classiques.
« Il faut distinguer les produits à combustion, très nocifs, des produits contenant de la nicotine sans combustion. C’est un enjeu de santé publique majeur. » Le Québec, rappelle l’ancien Premier ministre québécois, a mis en place plusieurs campagnes pour mieux expliquer ces différences, mais il reconnaît que la pédagogie reste complexe. « La peur de la nicotine est tenace, et les professionnels de santé eux-mêmes ne sont pas toujours à l’aise avec le sujet. »
La jeunesse au cœur des préoccupations
La question des jeunes a rapidement émergé dans la discussion. Tous deux s’accordent sur la nécessité de prévenir l’entrée dans la dépendance nicotinique, sans pour autant diaboliser. « Il faut parler aux jeunes sans être moralisateur. Ils n’écoutent pas les discours de peur. Ils écoutent leurs pairs », estime Philippe Couillard. Il cite l’exemple de programmes québécois reposant sur des campagnes animées par des jeunes eux-mêmes, bien plus efficaces que les injonctions descendantes.
Olivier Véran partage cette analyse et propose une piste concrète : intégrer une éducation à la santé et à la biologie des addictions dans les programmes scolaires, pour que les adolescents comprennent les mécanismes de la dépendance avant même d’être confrontés à la tentation.
Vape et alternatives : des outils encore mal reconnus
Sur la cigarette électronique, les deux anciens ministres adoptent une position clairement favorable, s’appuyant sur les données disponibles. Ils citent notamment la revue Cochrane de 2023, qui conclut que la vape nicotinée est plus efficace pour arrêter de fumer que les substituts nicotiniques traditionnels.
Olivier Véran regrette que la France reste timide sur le sujet, là où des pays comme le Royaume-Uni ou la Suède intègrent la vape dans leur stratégie nationale de lutte contre le tabac. « On devrait avoir en France un plan de réduction des risques digne de ce nom, qui reconnaît officiellement la cigarette électronique comme un outil de sevrage. »
Philippe Couillard abonde : « Ce n’est pas une panacée, mais c’est une voie, et elle doit être encadrée intelligemment. On ne peut pas fermer la porte à ce qui fonctionne. »
Fiscalité : un levier à manier avec cohérence
La fiscalité a aussi été abordée. Les deux intervenants rejettent l’idée d’une taxation équivalente entre tabac et vape, aujourd’hui envisagée dans plusieurs pays. Olivier Véran rappelle qu’il a lui-même mis en place une taxe proportionnelle à la teneur en sucre dans les boissons sucrées, estimant que la fiscalité doit refléter le niveau de risque pour la santé.
Appliquer la même taxe à des produits infiniment moins nocifs serait, selon lui, « un contresens total », envoyant le message que tous les produits nicotinés se valent – ce qui est faux. Philippe Couillard partage cette position : « C’est un signal désastreux, qui décourage les fumeurs de changer. On ne peut pas pénaliser la transition. »
Appel à une nouvelle approche politique
En conclusion, les deux anciens ministres ont appelé à un changement de paradigme dans les politiques de santé liées à la nicotine. Plutôt que de viser un impossible risque zéro, ils défendent une approche pragmatique : réduire les risques, sauver des vies.
Le médecin français propose plusieurs pistes concrètes pour la France :
– mettre à jour la formation des professionnels de santé sur les produits de réduction des risques,
– reconnaître officiellement la vape et les sachets comme des aides au sevrage,
– soutenir la recherche indépendante sur ces produits,
– et accompagner les fumeurs avec des messages clairs et non stigmatisants.
Philippe Couillard conclut par un appel au réalisme : « Il faut sortir du dogme et agir. Tant que des millions de personnes meurent chaque année du tabac, nous avons l’obligation morale de faire mieux. »
Olivier Véran :
« Quand j’ai demandé, à l’époque, ce qui empêchait la France de reconnaître officiellement la vape comme outil de sevrage, on m’a répondu qu’il n’y avait pas encore assez d’études cliniques. Mais je crois qu’on est aussi très marqués, en France, par des crises sanitaires passées qui ont fragilisé la confiance dans le système de santé. Cela alimente une culture du principe de précaution particulièrement forte. Je ne critique pas cette prudence, elle a ses raisons. Mais, à mesure que les données s’accumulent et que l’on observe les résultats dans d’autres pays, on peut raisonnablement se dire qu’il est temps d’avancer. »