Des remèdes et moins d’interdictions
Par ailleurs, cette région connaît une refonte de son réseau de transport et de mobilité, avec la création de 68 nouvelles gares et la rénovation de 166 autres. Ce projet bouleverse le maillage commercial et modifie les dynamiques de fréquentation. On observe ainsi une redistribution des flux de clients vers des zones périurbaines ou certains bureaux tabacs bénéficient d’une clientèle plus stable et régulière, alors que les commerces parisiens intra-muros souffrent d’une baisse d’attractivité depuis plusieurs années.
Philippe ALLAUZE, Président des buralistes Paris et Île de France nous explique les particularités des buralistes parisiens, l’importance de la vape pour une transition réussie et les enjeux fondamentaux de la profession en général.
Quelles sont aujourd’hui les attentes des clients parisiens et comment les buralistes s’y adaptent-ils ?
Elles sont globalement les mêmes que celles des consommateurs partout en France. Cependant, un enjeu majeur pour les buralistes est d’accompagner la transition vers une sortie du tabac en proposant une offre adaptée.
L’une des principales transformations que nous devons opérer est la diversification vers la vape. Aujourd’hui, il est essentiel pour chaque buraliste de maîtriser ce marché et de proposer une alternative crédible aux fumeurs souhaitant réduire ou arrêter leur consommation de tabac. Cela fait maintenant près de 15 ans que la vape s’est imposée comme la solution la plus efficace pour le sevrage tabagique. Les buralistes doivent donc être en mesure de conseiller leurs clients et de proposer des produits de qualité pour faciliter cette transition.
>En parallèle, de nouveaux services émergent pour répondre aux attentes des consommateurs, comme le click and collect ou des offres premium. Ces innovations permettent aux buralistes de moderniser leur activité et d’attirer une clientèle en quête de praticité et de nouvelles expériences d’achat.
Est-ce que, selon vous, ces tendances sont vouées à se généraliser ?
Dans les zones urbaines, et notamment en Île-de-France, ces évolutions semblent inévitables. Aujourd’hui, environ 15 % des buralistes de la région exercent en milieu rural et il est évident que ces services comme le click and collect ou le relais-colis ont vocation à se développer. Ces solutions, souvent portées par des pure players, répondent à une demande croissante des consommateurs.
Cependant, un défi majeur se pose : la configuration de nos établissements. En Île-de-France, la plupart des bureaux de tabac disposent de petites surfaces de vente et ne peuvent pas facilement allouer de l’espace supplémentaire à ces nouveaux services. Avec des loyers élevés et un prix au mètre carré particulièrement contraignant, il est difficile pour de nombreux buralistes d’intégrer ces offres sans repenser totalement leur organisation et donc revoir aussi leur modèle économique.
Ainsi, plutôt que de s’orienter massivement vers des services très consommateurs d’espace, nous devons privilégier des solutions qui optimisent notre efficacité et qui s’intègrent naturellement à notre réseau et au maillage urbain.
La digitalisation et les nouvelles technologies transforment de nombreuses entreprises. Quel impact cela a-t-il sur la gestion des vape shops, bureaux de tabac et la fidélisation des clients ?
La digitalisation joue un rôle croissant dans notre activité, mais elle doit être mise en œuvre avec précaution, notamment en raison des réglementations strictes qui encadrent la communication sur le tabac et la nicotine. Par exemple, il est interdit de promouvoir des produits du tabac en ligne et la publicité pour les produits contenant de la nicotine est également restreinte.
Nous pouvons néanmoins communiquer sur le matériel de vape, mais toujours en restant vigilants sur la réglementation en vigueur.
Un autre impact majeur concerne les modes de paiement.
Depuis la crise du Covid-19, les paiements numériques se sont généralisés, bouleversant nos habitudes et notre gestion quotidienne. Pour nous, buralistes, c’est un enjeu crucial, car nous travaillons sur un modèle économique basé sur des produits à commission et non à marge, du moins en ce qui concerne le tabac. Or, la transition vers la vape nous permet de proposer des produits à marge, ce qui change fondamentalement notre rentabilité.
La digitalisation est donc une double opportunité : d’un côté, elle modernise nos outils et facilite la fidélisation des clients, et de l’autre, elle accompagne la transformation de notre activité vers des produits plus rémunérateurs, comme la vape.
Paris est une ville où le tourisme est clé, justement la réglementation sur la vape peut-elle impacter la clientèle étrangère des buralistes ?
La réglementation sur la vape peut effectivement impacter la clientèle étrangère des buralistes, car les modes de consommation et de distribution du tabac et de la vape varient d’un pays à l’autre. Les touristes cherchent à retrouver leurs habitudes de consommation, et pour cela, il est crucial que les buralistes en France identifient clairement leurs points de vente.
En France, nous avons cette force avec l’identification claire des bureaux de tabac grâce à la « carotte », symbole de notre métier, qui est aussi utilisé pour d’autres addictions comme les jeux. Il serait pertinent d’étendre cette visibilité à la vape, afin que les touristes puissent facilement repérer des lieux de vente professionnels et bien identifiés.
Pour cette clientèle, il serait bénéfique de travailler sur une enseigne commune pour la vape, comme c’est le cas pour le tabac et les jeux. Il existe une réelle opportunité de professionnaliser les points de vente de vape et de permettre aux clients étrangers de se repérer facilement. Cependant, cela nécessite de mettre en œuvre cette identification et d’appliquer une véritable professionnalisation.
Quels conseils donneriez-vous à un vape shop ou un buraliste en pleine transformation pour diversifier son activité ?
1/ La première étape est de bien identifier l’espace de vente.
Il est essentiel d’optimiser l’utilisation des mètres carrés, surtout en Île-de-France où les prix sont élevés. Il faut penser à un parcours client fluide et bien organiser les produits, en particulier pour la vape, qui doit avoir un linéaire distinct et bien visible, tout comme le tabac. Ensuite, selon ce parcours client, le buraliste peut envisager d’autres modèles de diversification pour enrichir son offre.
2/ Un autre axe de diversification consiste à reconquérir les espaces inutilisés, comme les anciennes zones de restauration ou de consommation, et à les réaménager pour mieux répondre aux besoins des clients. Cela inclut également l’optimisation des ventes périphériques autour de la caisse, qui peuvent offrir des produits complémentaires.
3/ Enfin, le modèle économique des buralistes, basé sur des produits d’addiction, doit évoluer, notamment avec les conséquences du Covid qui ont restreint certaines offres. Il est donc crucial d’adapter les points de vente en fonction des nouveaux besoins, en intégrant les offres de vape et autres services diversifiés de manière claire et lisible.
L’intégration de nouveaux produits comme la cigarette électronique ou le CBD est-elle une nécessité ou un pari risqué pour les buralistes ?
L’intégration de la cigarette électronique ou du CBD est avant tout une nécessité pour la survie des buralistes. Ces produits sont désormais des éléments incontournables pour diversifier l’offre et répondre aux attentes des consommateurs. Toutefois, il est important de bien adapter ces produits à chaque point de vente en fonction du parcours client et de l’espace disponible.
Le merchandising joue un rôle essentiel : il est crucial de bien agencer les linéaires pour identifier clairement les différentes offres, que ce soit pour le tabac ou la vape. Bien que les buralistes ne puissent plus utiliser certaines couleurs pour distinguer les produits de tabac, ils conservent un savoir-faire en matière d’identification visuelle qui peut être transposé à la vape.
Il est également possible de transformer un bureau de tabac en un espace hybride, où la vape et le tabac cohabitent harmonieusement. Ce modèle a d’ailleurs été adopté avec succès par plusieurs établissements.
Cela implique un travail important sur l’agencement, le parcours client et l’optimisation de l’espace…
Le défi réside dans l’équilibre à trouver entre la diversification des produits, comme le snacking ou d’autres services, et l’identification claire de chaque offre.
Enfin, l’analyse de la zone d’achalandage et de la clientèle est essentielle pour déterminer quels produits proposer. Le mix de services doit être réfléchi en fonction des habitudes des consommateurs, qu’ils soient de passage ou des habitués du quartier. Cela nécessite une optimisation de l’offre, notamment dans les zones à forte densité comme l’Île-de-France, où les prix au mètre carré sont élevés.
Dans ce contexte, bien que cela puisse paraître risqué, les buralistes ont la capacité de réussir cette transformation, à condition de s’adapter aux besoins du marché et de bien maîtriser l’intégration de ces nouvelles offres.
À vous écouter, nous sommes à la croisée des grands chemins ?
Oui, depuis deux ou trois ans, les pertes de volume de tabac sont si importantes que le prix du tabac a atteint des niveaux critiques. La fiscalité impose un prix qui est arrivé au bout de sa trajectoire. Certains idéologues préconisent des hausses de prix avec des paquets à 17 ou même 25 euros, mais cette approche ne résout pas vraiment le problème. L’Île-de-France, en particulier, est au cœur de cette situation, car c’est un carrefour européen avec des axes routiers importants, mais la centralisation persiste. On attaque le tabac sous un angle dogmatique sans vraiment aborder les vrais remèdes.
En France, les plans de santé et les trajectoires fiscales sont souvent trop axés sur des interdictions ou des augmentations de prix, sans prendre en compte des solutions alternatives comme la vape. Au lieu de se concentrer sur l’éducation et des solutions comme la vape, qui a déjà montré son efficacité ailleurs, notamment en Angleterre, on continue de suivre des schémas erronés. On se retrouve à interdire des produits comme la PUFF jetable, sans avoir mis en place des solutions de remplacement efficaces. La vape, bien qu’étant un excellent remède, n’est pas suffisamment mise en avant. Il y a une obstination à agir uniquement par interdictions, sans réellement attaquer le problème à la racine.
Les buralistes et les vape shops, d’ailleurs, n’ont pas été les principaux acteurs dans la diffusion des PUFF jetables, mais plutôt les réseaux sociaux et les grandes marques de distribution. Pourtant, c’est bien à eux que l’on attribue souvent cette dérive, ce qui est injuste. En fin de compte, on se contente de supprimer un produit sans offrir une alternative efficace, et la France continue de manquer d’une politique globale et cohérente pour traiter le problème du tabagisme.
Les buralistes doivent s’adapter et diversifier leurs offres avec des produits comme la vape
Quels sont les principaux défis que les buralistes franciliens devront relever dans les cinq prochaines années ?
Les buralistes franciliens doivent impérativement se concentrer sur la réadaptation de leur modèle dans le cadre urbain. Le principal défi réside dans le fait que la profession est de plus en plus perçue non pas comme un acteur contre les marchés parallèles, mais comme une cible. Si cette dynamique continue, les bureaux de tabac risquent de disparaître dans certaines zones, et la désertification des offres pourrait se produire si la profession ne parvient pas à maintenir sa présence dans les flux commerciaux.
Et selon vous, quelles seraient les solutions concrètes pour redynamiser l’image ?
Un des grands enjeux est de créer un « Plan Marshall » (Programme de reconstruction de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale) pour réinventer les bureaux de tabac dans les zones urbaines. Avec l’essor des zones de flux comme les gares, où des centres commerciaux se développent, les buralistes se voient évincés des centres commerciaux depuis plus de dix ans, et ce phénomène est préoccupant pour leur avenir économique. Il est essentiel que la profession repense sa place dans ces zones de forte fréquentation pour pouvoir maintenir son rôle dans l’économie locale et éviter l’infiltration de vendeurs illégaux de tabac dans ces espaces.
Un autre défi est la transformation des établissements eux-mêmes. Chaque bureau de tabac devra s’adapter et se réinventer pour rester pertinent dans un environnement urbain en constante évolution. Si ces transformations sont réussies, les buralistes peuvent redevenir un véritable commerce de proximité urbain, au service de la population, et ne pas se limiter à un rôle rural. Il est crucial de maintenir et de renforcer le maillage du réseau de buralistes pour garantir leur place dans les flux commerciaux et les zones de consommation.
Et pour finir, si vous deviez imaginer le VAPE SHOP ou le bureau de tabac du futur, il ressemblerait à quoi ?
Ce serait un lieu où les « remèdes » prennent une place centrale, avec moins d’interdits. L’idée serait de se concentrer sur les solutions qui accompagnent la réduction des risques, comme la vape, au lieu de constamment se focaliser sur les interdictions. Il s’agirait également d’une profession bien encadrée, déjà régulée, mais avec une révision des normes pour favoriser une évolution positive du secteur.
Il faudrait aussi repenser la manière dont le tabac, la nicotine et la vape sont régulés, en s’inspirant de modèles comme ceux de la restauration et de l’alcool. Cela pourrait se traduire par des licences spécifiques pour la consommation de tabac ou de produits à base de nicotine, offrant ainsi une forme de régulation plus adaptée à ces secteurs.
L’objectif serait d’éviter d’exclure certains acteurs de ce marché, notamment ceux qui, comme les buralistes, sont engagés et ont fait leurs preuves dans la gestion de ces produits. Au final, il ne s’agit pas simplement de maintenir les buralistes en activité, mais de reconnaître leur rôle important et leur potentiel dans la transition vers des alternatives moins nocives comme la vape.