__Sa tête ne nous était pas inconnue quand nous l’avons croisée dans les allées du CBD Expo. Et pour cause, Me Ingrid Metton est souvent présentée comme « l’avocate du CBD ». Ce surnom, elle le doit au fait qu’elle a été confrontée à la question du cannabis alors qu’elle n’était encore qu’élève avocate. Aujourd’hui associée dans le cabinet « Chango Avocats » qu’elle a cofondé il y a un an, la spécialiste a accepté de répondre à nos questions, dans un contexte juridique très chargé.
- 37 ans
- Avocate
- Prestation de serment : 27 novembre 2014
- Domaines de compétences : droit pénal (international), droits de l’Homme, droit d’asile et des étrangers, droit administratif
- Tél. : + 33 (0)6 81 20 28 40
- im@chango-avocats.com
Bonjour Me Metton. Comment êtes-vous devenue « l’avocate du CBD » ?
Me Ingrid Metton : Disons, du moins, que je suis probablement l’avocat(e) la plus ancienne du secteur. J’ai prêté serment en 2014. Au départ, ma spécialité de formation, c’était le droit des conflits armés et les droits de l’Homme. Cela m’a permis de me rendre compte que, finalement, la défense des libertés, on peut s’y confronter dans des domaines insoupçonnés. Par exemple, je considère que le CBD est un sujet qui a montré à quel point, si on ne fait pas attention, on pouvait porter atteinte à des droits fondamentaux tels que la liberté d’entreprendre et le droit à la santé.
__Si, déjà, on arrêtait de poursuivre les gens qui sont malades et qui se soignent avec du cannabis, ce serait certes, un système hypocrite, mais qui fonctionnerait néanmoins. On n’en est, à l’heure actuelle, franchement pas loin. Le problème, c’est que ces personnes doivent faire pousser leur propre cannabis, puisque c’est illégal. Et elles se font souvent dénoncer par des voisins, la police les perquisitionne, c’est ridicule…
__D’ailleurs, l’un des tout premiers dossiers de ma carrière – je n’étais encore qu’élève avocate – est celui d’une personne qui souffre de pathologies extrêmement lourdes et qui est très intolérante aux traitements médicamenteux. Elle s’est retrouvée au tribunal correctionnel pour avoir apaisé ses maux avec du cannabis… Je n’ai pas compris ce qu’il se passait, je me suis dit « ce n’est pas possible » !
« Je suis devenue avocate parce que je crois profondément à la justice, comme concept ! »
Quand vous évoquez ce sujet, on vous sent révoltée…
__Quand, en tant que jeune avocate, je me suis retrouvée face à des personnes qui souffraient dans leur vie, dans leur chair, parce que le sort a fait qu’ils sont tombés malades, et qu’en plus, j’ai été confrontée à une telle défaillance de la justice que ces gens ont été déférés devant un tribunal, autant vous dire que ça m’a vraiment sensibilisée à la question. De plus, je suis issue d’une famille de médecins, donc ce sont des injustices qui me sont viscéralement insupportables !
__Et des cas comme celui de cet homme, j’en ai vu des dizaines en sept ans, mais c’est de plus en plus rare, preuve que les choses avancent malgré tout. Je me suis donc spécialisée dans le domaine du cannabis et des cannabinoïdes et j’ai pu accompagner des centaines de personnes, agriculteurs, entreprises…
Parmi eux, vous avez notamment défendu Kanavape, qui vient d’être relaxée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
__Effectivement, en 2014, Kanavape a fait l’objet d’une enquête pénale qui l’a menée devant les tribunaux. Sept ans de combats juridiques, qui ont porté leurs fruits. Aujourd’hui, on peut le dire, « l’arrêt Kanavape » change réellement la donne. Pas seulement par rapport à la France, mais à toute l’Europe. En effet, durant la procédure, j’ai pu obtenir la saisine de la Cour de justice de l’Union Européenne. Ses décisions s’imposent à tous les pays de l’UE. Vis-à-vis de la France, elle donne une interprétation de la convention sur les stupéfiants et sur les normes françaises de l’arrêté du 22 août 1990.
__Ce qui est très important, le fondement de tout, c’est que la CJUE rappelle que la convention sur les stupéfiants – qui prohibe le cannabis de façon large dans le droit français – n’a pas pour objectif d’interdire le cannabis par principe, mais pour protéger la santé humaine de ses éventuels méfaits. La Cour a donc répondu à la France que ses dispositifs applicables aux variétés non psychotropes du cannabis, telles qu’elles sont écrites actuellement, sont contraires au droit européen, à moins d’arriver à démontrer que le produit en question constitue un danger pour le consommateur.
__Il s’agit donc de déterminer s’il y a des dangers avec un taux de THC infime, à l’état de traces.

Mais, n’est-ce pas déjà le cas, puisqu’il se dit que la France autoriserait la vente de produits avec un taux inférieur à 0,2 % de THC ?
__On entend effectivement très souvent ce chiffre. Pourtant, légalement, ce taux n’est pas clair. Selon moi, il n’y a pas de taux de THC maximal fixé actuellement, cela n’existe pas dans le droit français. Et c’est là tout le problème. À bien des égards, nous avançons encore sur des sables mouvants, ça bouge tout le temps, ce n’est pas stable. Dans l’affaire Kanavape, ce qui a été jugé, c’est un produit : une cigarette électronique contenant du CBD. La plupart des conclusions que l’on peut en tirer concernent donc uniquement les extraits de CBD ne contenant que d’infimes traces de THC.
__De plus, il y a des principes européens qui ont permis de trancher la question de l’équité entre les pays de l’Union d’un point de vue commercial. En effet, on ne peut pas admettre que des entreprises européennes vendent sur le territoire français des marchandises qui ne peuvent pas être produites en France. Mais ça non plus, ça n’a jamais été écrit noir sur blanc. Des décisions sont rendues sur des sujets spécifiques, mais les termes ne sont pas très précis et, surtout, plus d’un an après l’arrêt Kanavape, il n’y a toujours eu aucune modification du droit français.
__Pour résumer, la seule avancée est que la CJUE a demandé à la France de revoir sa copie. En parallèle, deux QPC (question prioritaire de constitutionnalité, NDLR) ont été transmises au Conseil constitutionnel, ce qui veut dire que l’on a une base juridique, l’arrêté d’août 1990, qui a été déclaré inconventionnel ; des arrêts, qui sont intéressants, mais qui ne permettent pas d’éclairer toute l’étendue du business du CBD ; et un gouvernement français qui se focalise tellement sur l’interdiction de la fleur qu’il en oublie de créer un cadre juridique qui soit sécurisant pour les acteurs comme pour les consommateurs.
Où en est-on, justement, au sujet de la commercialisation de sommités florales ?
__Si la CJUE considère que l’on doit pouvoir exploiter toute partie de la plante, elle a été saisie dans le cadre de l’affaire Kanavape, donc elle ne s’est prononcée qu’en se focalisant sur les extraits. Ensuite, la Cour de cassation a étendu cette interprétation à la fleur : si celle-ci a été légalement produite dans un pays européen, elle est légale en France. Toutefois, je préviens systématiquement mes clients qui envisagent de vendre de la fleur : le risque zéro n’existe pas.
__Les interprétations des magistrats peuvent beaucoup diverger, c’est au cas par cas. Mais, à part une fois, j’ai toujours obtenu la relaxe de mes clients quant aux infractions à la législation sur les stupéfiants (production, possession, commerce…). Les condamnations portaient généralement sur la provocation à l’usage, voire sur les exercices illégaux de la médecine et de la pharmacie. Le dossier dans lequel un de mes clients a été totalement condamné portait sur le commerce de produits dont le taux de THC était trop élevé : pas de l’ordre de 0,4 ni 0,5 %, mais de plus de 1 %, voire 2 %, variations qui ne peuvent pas être exclusivement dues à des problèmes d’analyse.
__On peut donc dire qu’à l’heure actuelle, dans ce flou général, la question de la fleur n’a pas été tranchée. Mais certaines pratiques doublent les risques. Les cannabinoïdes ont été classés comme « novel food » par l’Europe. Cela implique que, si un produit présente des taux de cannabinoïdes supérieurs à leur concentration naturelle dans la plante brute, cela doit faire l’objet d’une autorisation européenne. Si les taux sont inférieurs ou égaux, les États peuvent appliquer leur propre législation. Par exemple, avec le Moon Rock, on est à 100 % dans la « novel food » et, en plus, on se situe dans le flou qui entoure le commerce de la fleur. Cela en fait donc un produit doublement problématique sur le plan règlementaire.
« Je ne pensais pas que l’on en serait encore, 7 ans après les débuts de l’affaire Kanavape, à ce point d’incertitude ! »
Comment pensez-vous que le cadre qui entoure ces questions va s’éclaircir à l’avenir ?
__J’ai la conviction que, d’ici quelques années, le CBD sera en vente libre. Le mouvement est lancé, et on ne reviendra pas dessus. Par contre, dans quel cadre, je ne sais pas. J’espère juste qu’il sera posé. Ce qui correspondrait le mieux aux normes européennes, c’est que le taux de THC maximal soit fixé. En dessous duquel on pourra le vendre en tant que produit « bien-être » et au-dessus duquel il sera, peut-être, commercialisé comme médicament. La même logique pourrait être appliquée au CBD, d’autant plus si de nombreuses études montrent qu’il peut aussi avoir des effets thérapeutiques, et pas seulement « bien-être ».
__Le plus logique serait donc de séparer tous les produits cannabinoïdes en fonction des taux, avec d’un côté le « bien-être » et de l’autre le thérapeutique, actuellement en expérimentation. De toute façon, ce qu’a dit la CJUE à la France, c’est que, quoi qu’elle fasse, il faut que ce soit scientifiquement prouvé, que l’on dépasse l’idéologie. La question, c’est la santé, et le gouvernement ne pourra pas l’éluder indéfiniment.
L’élection présidentielle qui approche peut-elle constituer un motif d’espoir en ce sens ?
__Il y a cinq ans déjà, on disait que ce serait un enjeu électoral, que le candidat Macron allait chercher des voix à gauche par ce biais. Il n’en a absolument rien été. Et il ne s’agit pas d’une question droite-gauche. Nous sommes dans un pays conservateur, avec un gouvernement conservateur. Je ne pense donc pas que la présidentielle 2022 change quoi que ce soit, surtout dans le contexte actuel de pandémie, de montée de l’extrême droite… Le business du CBD n’est pas, d’après moi, au centre du débat.
__Pourtant, les politiques sont bien au courant du sujet. Il faut se rappeler que, dans l’affaire Kanavape, c’est le ministère de la Santé qui a demandé l’ouverture de l’enquête pénale. Déjà, à l’époque, ce n’était pas sécurisant pour les agriculteurs, les transformateurs, les entreprises françaises et étrangères. Maintenant, c’est aussi le consommateur qui est mis en danger par cette absence de cadre. Il faut le dire, il y a des produits qui sont vraiment faits n’importe comment, dans des cuisines, transformés avec des substances extrêmement nocives, pour abaisser le taux de THC notamment.
__Et tout cela est rendu possible par l’absence de normes, donc la responsabilité des autorités est de poser un cadre pour permettre une activité pérenne et sécurisée afin de garantir au consommateur des produits sûrs. Sur ce point, je trouve qu’il y a une faille réelle des autorités françaises.
La CJUE pourrait-elle aussi imposer à la France de revoir sa copie quant à la vente de THC à usage récréatif, puisque cela est permis dans d’autres pays de l’Union ?
__En droit européen, il y a certains principes qui s’appliquent. Les États membres délèguent des pouvoirs à l’Europe dans certains domaines, notamment en matière de liberté de commerce et de principe de libre circulation des marchandises. Par contre, ils ont gardé la main en matière de stupéfiants.
__Puisque le THC est un produit classé comme stupéfiant par la Convention internationale sur les stupéfiants, chaque État peut faire ce qu’il veut. Quand on voit les réticences de la France à l’égard du CBD, on peut fortement douter que l’on y verra, dans un avenir proche, des coffee-shops comme à Amsterdam…
Enfin, la feuille de cannabis est souvent utilisée à des fins marketing. Est-ce légal ?
__Je vois encore parfois retenu dans les poursuites que l’exploitation visuelle de la feuille de cannabis constitue de l’apologie de la consommation. Mais, en réalité, il y a eu des discussions règlementaires ayant conclu que l’utilisation de la feuille seule n’est en rien de la provocation. Toute comme, par exemple, le fait le vendre ou de porter un tee-shirt avec une feuille de cannabis accompagnée de la mention « Legalize it », qui n’est pas considéré comme de la provocation mais comme l’expression d’une conviction politique.
__En revanche, ce qui constituerait une pratique répréhensible, ce serait d’entourer cette feuille de têtes de CBD, de papier à rouler, de briquets, de leur donner le nom d’un produit psychotrope, que le logo représente un fumeur de joint habillé en rasta avec les yeux défoncés…
Affaire Kanavape, les dates-clés
Déc. 2014 – Début de l’enquête pénale à la demande du ministère de la Santé.
Févr. 2015 – Perquisition au siège de Kanavape à Marseille.
Sept. 2015 – Le Procureur de la République retient 7 chefs d’inculpation.
Déc. 2017 – Condamnation par le tribunal correctionnel de Marseille.
Oct. 2018 – Saisine de la Cour européenne de justice.
Nov. 2020 – L’arrêt de la CJUE invalide la réglementation française
Nov. 2021 – La cour d’appel Aix-en-Provence relaxe Sébastien Béguerie et Antonin Cohen-Addad
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