Les pays d’Europe du Nord vouent un véritable culte à la transparence. Et quand ce principe est bafoué, les politiciens incriminés risquent gros pour leur carrière. C’est précisément ce qui est train d’arriver à Magnus Heunicke (photo), le ministre de la Santé du Danemark. Très tôt, le pays s’est distingué par le vote d’un plan limitant drastiquement l’e-cigarette sur son territoire. Le 18 décembre 2019, les parlementaires du Folketinge ont ainsi validé des mesures censées entrer en vigueur dans le courant de l’année 2021. Interdiction de tous les e-liquides aromatisés, excepté ceux au goût menthol et tabac, taxe de 2,70 euros par flacon, emballage neutre : la vape est clairement stigmatisée.
Déjà en poste au moment du vote, Magnus Heunicke justifiait son plan ainsi : « l’interdiction de la vente des liquides de cigarette électronique avec tous les goûts autres que tabac et menthol doit empêcher les cigarettes électroniques de devenir une passerelle vers la nicotine et les cigarettes classiques pour les jeunes ». Une référence à la théorie de l’« effet passerelle », scientifiquement infondée du reste, pour faire passer une taxe au passage.
Le problème : les autorités de santé publique, au Danemark, ont passé sous silence la baisse de la prévalence tabagique sur plusieurs années consécutives. On peut pourtant directement l’imputer à la popularité croissante de l’e-cigarette dans le pays.
Un scandale d’État et des consommateurs floués
« Le Conseil national de la santé est accusé de mensonge », titre la chaîne danoise TV2. Le Parti populaire danois et La Nouvelle Droite, deux partis politiques représentés au Parlement, accusent Magnus Heunicke d’avoir tu pendant plusieurs mois la baisse du nombre de fumeurs. Le rapport 2019 sur les habitudes tabagiques des Danois, qui devait servir de base documentaire au vote des parlementaires, n’était curieusement « pas prêt ».
Aujourd’hui, les associations danoises de cardiologie, de pneumologie et de cancérologie affirment cependant avoir informé le ministère de la baisse du nombre de fumeurs. « On préfère ne pas l’écrire », aurait répondu Christina Ross, la responsable du rapport tabagique 2019, dans un mail adressé aux associations en 2019 et relevé par TV2. Le 12 mars 2020, la Société danoise de lutte contre le cancer s’en émeut mais reçoit là encore une fin de non-recevoir.
« Ils mentent, et soit c’est le ministre de la Santé qui cache l’information, soit c’est l’agence sanitaire qui ne la lui transmet pas », réplique aujourd’hui Liselott Blixt, la porte-parole du Parti populaire danois. « C’est très grave, et le ministre ou le Conseil national de la santé est responsable de ce scandale, complète son homologue Lars Boje Mathiesen de La Nouvelle Droite. Nous avons une longue tradition selon laquelle, au Danemark, nous pouvons faire confiance aux informations que nous recevons des agences. Il est désormais fondamentalement difficile de savoir si le Conseil national de la santé est vraiment neutre. »
« Il n’est pas légal d’omettre délibérément de transmettre des informations, confirme Frederik Waage, professeur d’administration publique de l’Université du sud du Danemark. L’agenda du ministère ne justifie pas la rétention d’informations. »
« Les plus grands perdants seront les consommateurs danois »
Le ministre de la Santé Magnus Heunicke est aujourd’hui convoqué par les parlementaires pour répondre de cet « oubli ». « Il apparaît désormais que la loi est basée sur des informations erronées, déplore Jeannett Andersen, la porte-parole de l’un des principaux revendeurs danois d’e-cigarettes Smoke-It. La nouvelle loi était censée empêcher les enfants et les jeunes de commencer à fumer, mais les études démontrent que l’ancienne loi avait apparemment déjà cet effet. La nouvelle loi reviendrait à ce que davantage d’adultes se mettent à fumer, et il semblerait malheureusement que les politiciens y soient complètement indifférents. »
« Les plus grands perdants seront à nouveau les consommateurs danois, qui ont réussi à arrêter de fumer grâce à la cigarette électronique, et les nombreux fumeurs qui ne sont pas informés qu’il existe une alternative sûre et efficace, commente Peter Stigaard, trésorier de l’Association danoise des vapoteurs DADAFO. Nous suivrons avec intérêt les répercussions de l’audition de Magnus Heunicke sur le sort de la loi votée en décembre 2019.